Manuscrito

<Paris>

Du 29 Janvier 1865.

Méd. Mad. Cazemajour

Evocation de l’Esprit de Proudhon

Dem : Quelle est votre position dans le monde des Esprits ?

Rép : Heureuse, je vous l’ai dit dans ma communication ; je n’ai d’autre peine que celle que me cause la douleur des miens, et j’espère dans le Spiritisme pour les consoler et leur donner la force de supporter cette séparation si pénible.

Dem : Connaissiez-vous le Spiritisme ?

Rép : Pour en avoir entendu parler, en avoir causé même, mais non par une étude sérieuse et raisonnée. Je n’étais pas hostile, mais indifférent.

Dem : Que pensez-vous des opinions économiques que vous avez eu ?

Rép : Je pense qu’elles se réaliseront. Les hommes qui, comme moi, usent leur vie à la réalisation des progrès sociaux dont ils ont l’intuition, sont destinés à préparer les voies, et à jouer un rôle plus ou moins important dans les révolutions morales qui doivent amener la transformation de l’humanité. Mais je reconnais maintenant que je m’étais trompé grandement sur les moyens d’action. Ce sont eux qui m’ont perdu aux yeux des gens intéressés à conserver le statu quo, et qui se sont fait de ma personnalité une si étrange idée. Heureusement, que les jugements faux des hommes ne sont pas sanctionnés par l’équitable justice de Dieu qui tient compte de tous les efforts tentés avec une intention droite pour les bonnes causes, et que chacun reçoit la récompense due à ses œuvres.

Oui, la répartition de la propriété est une /2/ iniquité, cause de bien des maux ; le superflu des richesses particulières appartient de droits à ceux qui n’ont rien ; mais les moyens violents, les théories creuses pour arriver à ce résultat seront tous impuissants à le réaliser. Ce n’est que par l’amour et la charité que la répartition de la richesse s’exercera plus tard sur la terre, mais librement et c’est au Spiritisme que les hommes devront ce bienfait immense.

Dem : Dans une lettre écrite en 1857 à M. Villiaumé, vous paraissiez las de la vie et plein de découragement en songeant aux obstacles que vous rencontriez pour faire partager vos idées. « En y songeant, disiez-vous, je me demande si je ne traîne pas la chaîne de quelque grand coupable, condamné dans une existence antérieure comme l’enseigne J. Reynaud. » Cette dernière opinion était-elle une conviction de votre part ou un vague pressentiment de la réalité de cet enseignement ?

Rép : Hélas ! Hélas ! J’ai été si calomnié ! C’est un poison qui a lentement desséché mon cœur, et qui par instant me laissait sans courage et sans force pour lutter contre la destinée amère que les événements m’avaient faite. Je trouvais l’opinion de la préexistence émise dans Terre et Ciel admirable ; mais je n’y croyais pas ; je m’en étais servi pour peindre avec plus d’expression ma position pénible. C’est qu’il manquait à J. Reynaud, pour compléter sa théorie, les faits qui vous aident à la constater, à la certifier ; aussi, êtes-vous certains de l’adoption générale de ce /3/ principe qui justifie seul les souffrances et la misère des uns et l’égoïsme des autres dans la grandeur, la richesse et l’abondance.

Dem : M. Allan Kardec a le dessein de charger M. Dessirier, votre ami, de faire parvenir à votre famille, les communications que nous avons reçus de vous. Que pensez-vous de cette idée ? Croyez-vous qu’elle produira un bon effet ?

Rép : L’idée est excellente et je remercie ce cœur généreux ; vous me rendez bien heureux ! J’avais oublié que ce brave Dessirier était spirite, que sa foi était forte et communicative et que souvent, il m’avait ébranlé par la seule force de ses convictions. C’est la Providence qui l’a mis sur mon chemin afin qu’il soit le trait d’union qui rapproche nos âmes. Merci pour cette attention bienveillante et fraternelle. Je serais près de lui quand il remplira près des miens, cette mission de charité. Elles ne demandent qu’à être consolées, et si elles voulaient, ma femme elle-même, ma fille aînée, pourraient causer avec moi, comme je cause avec vous ; elles sont médiums. Hâtez-vous donc, et merci encore une fois.

Proudhon