Manuscrito

<Sète>, Jeudi 25 7^bre 1862.

Ma bonne Amélie, je pars ce matin de <Sète>, et je profite de quelques instants qui me restent pour te donner de mes nouvelles, quoiqu’il n’y ait pas bien longtemps que je t’ai écrit, mais je sais que tu attends mes lettres avec impatience, quelque peu que j’ai à te dire, car il me serait impossible d’entrer dans les détails circonstanciés de mon voyage ; je me borne aux généralités.

J’ai trouvé à <Sète> non pas un très grand nombre d’adeptes, mais des spirites de première qualité, comprenant et pratiquant la doctrine, et d’un dévouement sans borne ; ils sont tout au plus une douzaine, mais c’est un excellent noyau, composé d’hommes instruits et sérieux. Ils savent tous pour ainsi dire par cœur tout ce que j’ai écrit, et en font leur lecture habituelle ; chose remarquable, c’est qu’ils ne connaissent guère les médiums que de nom ; ils n’en ont point, et la plupart n’en ont jamais vu d’aucune nature, et pourtant ce sont des croyants et fervents apôtres ; mais ils ont lu et compris, et il a suffit de quelques mots pour jeter en eux la lumière.

L’accueil que j’ai reçu parmi eux se conçoit mieux qu’il ne m’est possible de le décrire ; il est impossible de trouver plus de sympathie, et de franche cordialité. Plusieurs sont venus me recevoir au chemin de fer ; quatre spirites de Montpellier ont fait le voyage tout exprès pour se trouver à <Sète> avec moi. Le soir grand dîner et réunion jusqu’à 11 ½.

Je suis obligé d’interrompre ma lettre parce qu’on vient me chercher pour aller déjeuner, et que le train part dans une heure ; je la finirai à Toulouse.

Toulouse, Vendredi 26 7^bre.

Ici, comme partout, accueil le plus enthousiaste ; ces messieurs m’attendaient à la gare, et quoiqu’ils ne m’eussent jamais vu, ils m’ont reconnu d’après mon portrait. Je suis arrivé à 6 heures assez fatigué d’un trajet de 50 lieues fait d’une seule traite par une chaleur de 35 degrés ; je n’ai eu que le temps de me nettoyer un peu et de quitter mes habits de voyage pour aller à un grand dîner qui avait été préparé à mon intention. Ce soir doit avoir lieu une grande réunion, et demain le matin je pars pour Marmande. En vérité je ne me serais jamais douté d’être aussi populaire, ni que le Spiritisme eût déjà d’aussi profondes racines ; partout, sans exception, il est considéré dans son point de vue le plus grave et le plus sérieux, et partout je vois qu’on le comprend admirablement ; j’ai donc, en réalité, peu de chose à faire pour compléter l’instruction, car je trouve des disciples tout formés qui n’ont besoin que d’être encouragés pour lutter contre les obstacles qu’ils rencontrent. Toulouse, avant peu, sera je crois un des principaux foyers du Spiritisme dans ces contrées ; il y a les lumières et l’énergie. Montpellier paraît avoir de bons éléments ; les adeptes y sont assez nombreux, au dire de ceux qui sont venus me voir à <Sète>. À Nîmes c’est tout différent, c’est la ville la plus arriérée. Les habitants sont divisés en catholiques furibonds, et en protestants fanatiques, animés depuis plusieurs siècles les uns contre les autres d’une haine telle qu’il faut tous les efforts de l’autorité pour empêcher qu’ils n’en viennent à des luttes sanglantes. On sait ce qui s’y est passé cette année au retour des évêques de Rome. Le terrain n’y est donc pas propice ; aussi la réunion que j’ai présidée dans la soirée, à l’exception de M.^r Aujanneau, mandé par le télégraphe, d’un médecin cousin de M.^r Rey de Lyon, n’était guère composée que d’incrédules ou d’adversaires. Je crois néanmoins que ce que j’ai dit n’aura pas été sans résultat ; mais je crois que j’ai mis le pied sur le serpent.

Je continue à me très bien porter et souhaite qu’il en soit de même de toi. Je t’embrasse bien de tout cœur.

A.K.

P.S. J’ai fait blanchir quelques chemises et foulards à Lyon ; mais M.^e <Villon> n’a pas voulu me dire ce que cela avait coûté.