Manuscrito

[Cachets illisibles.]

]M.^r Rivail à M.^me Rivail[

Madame

Madame Rivail

Au Lycée Polymatique

Rue de Sèvres n^o 35

Paris

Londres le 19 7^bre 1837 ]1837[.

J’ai reçu ta lettre, ma chère Amélie, qui <m’a> fait le plus grand plaisir en m’apprenant que vous êtes tous en bonne santé. Les mécomptes dont tu me parles ne m’étonnent pas ; il faut s’y attendre, et ce serait un miracle que de n’en pas avoir. Quant à moi je ne fais pas grandes affaires ici ; cependant je pense que mon voyage n’aura pas été inutile ; mes annonces ne m’ont amené jusqu’à ce moment qu’une demande et encore par lettre. C’est un membre du parlement qui m’a écrit, parce qu’il est à la campagne, et qui me demande de plus amples renseignements. Comme tu le penses bien je me suis empressé de lui répondre une lettre fort détaillée, et j’attends ce qu’il en adviendra. Si cela réussit ce sera une bonne affaire, parce qu’un patronage comme celui là peut être extrêmement utile, surtout en Angleterre où les recommandations font tout, aussi a-t-il eu [un] soin de me demander celles que je pouvais lui offrir. J’ai également fait connaissance avec le consul français qui a ses deux fils à Paris au collège Louis le Grand ; il a l’intention d’en retirer le plus jeune qui a 12 ans ¹/₂ et je fonde quelque espoir de ce côté. Comme tu le vois cela n’abonde pas ; mais ainsi que je l’ai dit, je pense cependant que mon voyage ne sera pas en pure perte, au moins pour l’avenir si ce n’est pour le présent, car j’établis des relations, et surtout je me mets au courant des usages du pays et des moyens les plus propres à réussir si les circonstances se présentent ; et c’est beaucoup que de savoir comment s’y prendre. Si jamais je faisais un autre voyage ici j’y perdrais bien moins de temps, sachant de suite ce qu’il y a à faire ; car ce n’est pas en un jour qu’on peut se débrouiller dans le chaos de cette immense ville dans laquelle Paris danserait bien un galop. Les courses y sont si longues qu’une seule visite vous fait tout de suite perdre une journée. Voilà 13 jours que j’y suis et je commence seulement un peu à m’y reconnaître.

Une autre circonstance m’a fait éprouver des retards ; ce sont les annonces que les journaux n’ont pas toujours mis au jour convenu et qui ont été retardés quelquefois de 3 ou 4 jours.

J’ai écrit à un de mes amis qui demeure aux environs et qui tient une pension en grande réputation, aussitôt ma lettre reçue il s’est empressé de venir à Londres pour me voir et m’engager à aller chez lui. C’est aujourd’hui seulement que je l’ai vu, et c’est jeudi soir que je vais me rendre à son invitation. Par sa position il peut m’être très utile et j’ai bon espoir de ce côté. Il m’a donné de très bons renseignements, et si j’ai un regret c’est d’avoir autant tardé à me remettre en rapport avec lui. Il en est de même d’une autre personne que je comptais trouver à Londres et qui habite à la campagne. C’est aussi un chef d’institution qui jouit d’une grande considération et dont les recommandations, comme ministre et docteur peuvent avoir beaucoup de poids. Je lui ai écrit seulement hier, et je ne doute pas qu’il ne me réponde ou peut-être qu’il ne vienne aussi me voir. Si ce n’était la dépense j’irai chez lui.

Je n’ai point encore fixé le jour de mon départ ; mais ce ne sera pas avant la fin de la semaine ; car il doit y avoir encore une annonce mise demain et je dois en attendre l’effet, ainsi que le résultat de ma lettre à ce membre du Parlement.

J’ai été il y a quelques jours dîner et passer la soirée chez M.^r et M.^e Miller pour lesquels M.^r Givaldan m’avait donné une lettre et dont j’ai parlé à mon oncle dans ma dernière. Il est impossible d’être plus amis et plus prévenants que ces gens là. Je compte beaucoup sur leurs bons offices. Ce qui me tranquillise un peu sur la prolongation de mon séjour ici c’est la réduction de ma dépense. Je vais en tout avec la plus stricte économie. Pour épargner les voitures je vais à pieds ce qui me fait connaître la ville. Ma nourriture y est très bon marché ; il n’y a que le logement qui soit cher ; encore si je n’avais pas tenu à être logé un peu convenablement et dans un quartier central elle pourrait être réduite à moitié.

Quant aux curiosités, il n’en coûte pas autant qu’on le disait. J’ai visité Westminster qui est vraiment une chose à voir, pour 36 sous. Pour voir la tour il n’en coûte que 3^f 75^c. Je n’y ai point encore été, et suivant les circonstances je m’en passerai.

Les spectacles ne sont pas non plus aussi chers qu’on le croit. On va au parterre dans les grands théâtres pour 3^f 75^c ; mais je m’en suis passé ; j’ai été 2 fois dans des théâtres secondaires, une fois pour 50^c et une autre fois pour 36.

Tu me reproches de ne t’avoir pas fait la description de l’entrée de Londres et de ses innombrables vaisseaux. Tu sais d’abord que je suis assez paresseux pour écrire des lettres et que j’économise volontiers ma peine pour tout ce qui n’est pas nécessaire ; j’ai pensé qu’un récit de vive voix serait plus intéressant ; c’est pourquoi je me bornerai encore cette fois à te dire que depuis l’entrée de la Tamise jusqu’à Londres j’ai vu au moins 4 à 5000 navires et qu’on peut difficilement, quand on ne l’a pas vu, se faire une idée de cette immense forêt de mats.

<Pour> la même raison je bornerai là ma description des autres choses que j’ai vues ; je pourrai pourtant t’en donner une meilleure que ma paresse ; c’est que je t’écris à l’improviste, venant d’être prévenu il y a une ¹/₂ heure seulement que si je voulais profiter du courrier de l’ambassade, il fallait remettre ma lettre sans retard.

Adieu donc ; embrasse pour moi mon cher oncle que je suis bien aise de savoir en bonne santé et reçoit l’expression de la tendre affection de ton tendre et bien sincèrement affectionné époux et mari,

H.L.D. Rivail.

P.S. Je me porte bien, j’emploie assez bien mon temps à travailler dans ma chambre en attendant les visiteurs qui ne visitent guère. J’ai fait un bon travail pour la rentrée.

Bien des choses à tout le monde.